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Le domaine de feu David Grey est situé à Pahokee, sur la rive du lac Okeechobee en Floride, à quelque 200 kilomètres de Miami.

Étrange demeure, frappée de gigantisme, au style indéterminé hésitant entre le colonial yankee et le château bavarois cher à Louis II. Elle se dresse sur une éminence plantée d'essences propres au 27e parallèle.

La propriété continue sur le lac par une île semblable à celle où fut aménagée la tombe foraine de Lady Di, la pauvre. Elle possédait une flopée de gardes du corps (et quel corps !), mais il a suffi d'un Franchouillard bourré pour la ravir à l'affection de la Mère Deux, reine d'Angleterre, d'Écosse, d'Irlande et de la moitié du tunnel sous la Manche.

Pour t'en reviendre : le domaine est faraminable ! D'un mauvais goût exaltant la colossale fortune du propriétaire. Tennis, coral, piste d'hélicos, piscines olympiques. Il possède trop tout, tant tellement que qu'est-ce ça doit être chiatique d'habiter un endroit pareil !

La calme Buick louée à Miami semble être la tire du vétérinaire venu purger les bébêtes.

On arque vers l'entrée de cette citadelle conçue par Walt Disney et interprétée par des architectes bien décidés à se goinfrer.

Un valet de pique, ou de pied, je ne sais, nous accueille avant que nous n'eussions le temps de nous manifester. Un grand Noir aux cheveux gris à peine ondulés à l'aspect du juge dans la série des Perry Mason.

Ce mec n'a pas dû sourire depuis l'abolition de l'esclavage. Il attend, muet et immobile, confusément troublé par la présence de Bérurier, qui s'est fringué en blanc et chapeauté d'un panama, comme s'il jouait dans un remake « D'Autant en emporte le ventre ».

J'affronte le majordome :

- Nous constituons, ces messieurs et moi, une commission rogatoire de la Police française chargée d'enquêter sur l'assassinat de miss Pamela Grey, lequel, sans doute le savez-vous, a été perpétré sur notre territoire.

Son hochement de tête est aussi imperceptible que celui du Sphinx à qui tu demandes s'il est content de ne pas avoir été transporté au British Museum comme le reste de l'Égypte. Il attend.

Devinant quoi, je lui produis un papier des autorités ricaines nous autorisant à effectuer une enquête sur le territoire des U.S.A.

- En quoi puis-je vous être utile, sir ? s'informe l'oncle Tom.

- En répondant à nos questions, mon cher.

Il s'écarte pour nous laisser entrer.

Je t'ai décrit tellement de maisons saugrenues dans mon œuvre monumentale, que je renonce à en ajouter une de plus. Qu'il te suffise d'apprendre l'inouïsité de cette gigantesque bâtisse faite de briques et de brocs. On aimerait savoir à quoi pensent les gaziers pour se faire élever des palais de deux cents pièces quand une seule suffit pour tirer un coup ! En règle générale, ils n'épatent qu'eux-mêmes ; se balancent de la poudre aux châsses pour se prouver leur puissance.

Nous voilà partis en caravane dans (justement) ce caravansérail. Des enfilades de salons, des jardins d'été, d'autres d'hiver, et d'autres encore divers. Tout cela pour atteindre une piscine couverte, entourée de vitraux peints 1900, représentant des échassiers dans des roseaux. Très élégants. Des canapés d'osier recouverts de coussins imperméabilisés, un bar rutile, avec juke-boxe incorporé. Une démentiellerie yankee.

Une femme est assise, qui porte un maillot de bain noir, luisant comme de la peau de requin. Elle est très brune et bronzée à outrance. Dodue dans sa cinquantaine épanouie, elle défie le mauvais goût en utilisant un fume-cigarette pour star des années 30. Le comble : elle porte un chapeau de paille, style capeline, noué sous le menton par un ruban, comme il se doit quand on est en bikini.

Mal foutue, la rombiasse : le bide proche des nichemards, des cuisses kif les statues d'Arno Breker, et un tablier de sapeur luxuriant qui s'échappe, par grosses touffes, de son vêtement de bain.

Qui est cette pouffe extravagante ?

Notre mentor s'en approche pour lui chuchoter des choses à notre propos. La femme le congédie d'un geste plein de langueur et le gonzier se dissipe.

- Approchez, messieurs ! Approchez ! invite le cétacé, en français dans le texte.

Elle jacte notre belle langue moins bien qu'elle ne l'imagine, mais reste compréhensible.

Nous avançons avec une suffisance de bon ton.

Je m'incline :

- Mes hommages, madame. A qui avons-nous l'honneur ?

Elle a un grand rire, large comme une connasse de jument.

- Mais... à madame David Grey ! répond-elle.

Le sol m'échappe telle la feuille de papier hygiénique du type tentant de se torcher l'oigne sur la lande bretonne par grand vent.

- Je... L'on nous avait dit que...

Elle se délecte de mon patouillage.

- L'on vous a dit que Grey et moi étions divorcés. C'est exact. Cela ne m'a pas empêchée de conserver son nom, du fait que je ne me suis jamais remariée.

Cette bonne raison ne m'explique pas ce que la vieille peau fabrique dans ce palais Carabosse. Elle me l'apprend sans que j'eusse à la questionner :

- Imaginez-vous, mon cher détective, que l'existence est la chose la plus stupéfiante qui soit. Son père étant mort, notre fille Pamela se trouve être l'héritière de ses biens. On assassine la chère enfant, et sa fortune me revient ! Étonnante trajectoire, non ?

- En effet ! admets-je. Et d'une folle rapidité !

- Qui donc irait concevoir un tel scénario ? fait-elle en primesautant derechef.

Je me tais, biscotte il est en train de s'opérer un machin très extrême sous mes yeux vigilants.

Magine-toi que Sac-à-vin est littéralement envoûté par notre hôtesse. Il la consomme du regard, la bouche gobeuse, la braguette en forte dilatation.

Si tant est bien que la dame s'en rend compte. Elle fait « tilt » en découvrant le bénoche hypertendu du Gravos.

- Mistress Grey, dis-je-t-il avant que sa fascination la rende inapte à toute converse, je suis ravi pour vous d'apprendre que cette énorme fortune vous échoit. Seulement, il y a comme un défaut : ces morts auxquels vous la devez ne sont pas naturelles et résultent d'assassinats successifs. Tant que la vérité ne sera pas établie, vous ne pourrez disposer de votre héritage !


Trempe Ton Pain Dans La Soupe
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